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Magazine du Voyageur
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« DIY Manifesto », c’est le nom d’un webdocumentaire réalisé par Nora Mandray et Hélène Bienvenu qui sort ce mardi 3 juin sur des grands sites d’infos tels que Médiapart, Les Inrockuptibles et Radio Nova. C’est pour le Magazine du Voyageur qu’Hélène nous raconte sa genèse et nous livre une image de Détroit à mille lieues des clichés. 

Au cours de cet entretien, vous allez découvrir la ville de Détroit, dans le Michigan, comme le point de départ de la révolution « Do It Yourself », un mouvement mondial de réappropriation des outils du vivre ensemble. Vous trouverez aussi une mine de bons plans et d’adresses bien utiles si vous allez un jour à Détroit.

Le duo de journalistes/documentaristes Nora Mandray et Hélène Bienvenu se sont installées à Détroit en août 2011 et ont passé à elles deux plus d’un an à Motor City. Sitôt arrivées, elles ont commencé à bloguer sous la bannière Détroit je t’aime, et ouvert une page Facebook et un compte twitter @diymanifesto leur permettant de lancer un vaste appel aux dons sur la plateforme de crowdfunding Kickstarter en 2012.

  • Rendez-vous sur DIY Manifesto pour découvrir ce webdocumentaire ! (lien actif du 3 juin au 3 juillet).

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Hélène, qu’est-ce qui t’as attiré vers cette ville pas très « sexy » au premier abord, au point de lui consacrer un documentaire?

Nora et moi avions très envie de nous lancer dans une première réalisation ensemble. C’était encore les débuts du webdocumentaire, on voulait se lancer dans l’aventure. L’idée, c’était de parler de chocs et de transitions, la crise venait de toucher massivement l’Europe, ça s’est avéré un tournant: nous étions devenues des rejetons de la génération précaire. Nous avions toutes les deux étudié en Pologne et pas mal arpenté les friches industrielles ainsi que les villes (post)-communistes. Dans notre webdocumentaire, on voulait combiner ces trois éléments: la ville, le post-industriel et l’agriculture urbaine qu’on voyait émerger comme un phénomène intriguant. A l’époque je vivais à Budapest et Nora poursuivait ses études de film à Los Angeles. C’est elle qui s’est rendue à Détroit, elle en est rentrée transformée: on a décidé qu’on se concentrerait sur Détroit pour notre webdoc! Nos recherches sur la ville n’ont fait que conforter cette impression. Puis, on a obtenu une aide à l’écriture nouveau média du CNC. L’aventure pouvait commencer sous les pavés de Motor City!

Quelles ont été tes premières impressions à Détroit ?

Nous avons passé quelques jours dans une banlieue plutôt cossue type middle class du Michigan, à 1h30 de voiture de Détroit avant d’atterrir à Motor City intra muros. Le choc a été saisissant. Le fossé qui sépare la ville de ses banlieues est abyssal, on a beau l’avoir lu partout, on mesure mal l’ampleur des contrastes riches/pauvres, Noirs/Blancs. La population de Détroit est Noire Américaine à 85%. La proportion est quasi inverse dans les banlieues (bien plus riches). Tout s’arrête ou presque de l’autre côté de 8 mile (le « périf » du Nord de Détroit). Côté banlieue: restaurants, bars et supermarchés, maisons bien entretenues, éclairage public. Côté Détroit, quelques rares fast-foods, des corner stores (boutique d’alcool), des lampadaires qui n’éclairent plus et des maisons abandonnées.

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Pendant notre séjour, on n’a pas arrêté de se questionner sur la ségrégation. Encore aujourd’hui, elle est palpable. C’est fou de se dire qu’en 1940 un promoteur immobilier à Détroit avait même construit un mur pour séparer un quartier de « Blancs » du reste, habité par les « Noirs »! L’autre chose marquante, c’est bien sûr, les maisons en ruine. Ce n’est pas qu’un cliché. Elles se comptent par dizaines de milliers à Détroit. La ville a conservé la même taille que dans ses années fastes, or elle s’est vidée de moitié… Et aux États-Unis, on a pas le même souci du patrimoine qu’en France, ni les mêmes recours fiscaux pour maintenir une collectivité. Franchement, on a beau jouer les gros bras, on en mène pas large quand on se retrouve à parcourir à vélo (à pied, je n’ai même pas tenté!) une rue où plus aucune maison n’est habitée… Non pas qu’il s’y passerait forcément quelque chose mais il y a des disparitions inexpliquées et des balles qui se perdent régulièrement dans ces coins où les « crackhouse » dominent le paysage. Autre chose à laquelle on ne s’attendait pas : la vie nocturne que réserve la ville quand on connaît les bonnes personnes!

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Qu’est-ce qui te plaît autant dans cette ville qui est pourtant en crise ?

La force que déploient la ville et ses habitants. J’ai rarement vu autant de passions se déchaîner qu’ici, autant de réflexions profondes se nouer sur l’époque que nous traversons. Détroit comporte un noyau d’activistes très impliqués, notamment Grace Lee Boggs, (qui s’exprime dans notre webdocumentaire), c’est une des personnes les plus inspirantes qui nous ait été donné de rencontrer. Cette ville a concentré toutes les tares possibles en matière d’urbanisme (pollution, ségrégation, absence de transport public et de services urbains, corruption, faillite…) mais les résidents qui sont là depuis longtemps (et d’autres arrivés plus récemment) en ont vu passer d’autres.

Détroit c’est chez eux, ils n’en bougeront pas, la seule solution qu’ils ont trouvé c’est de retrousser leurs manches ensemble pour pallier aux insuffisances: ils plantent des jardins communautaires, pratiquent le système D, mettent au point des ateliers vélos autogérés, des restaurants alimentés par des produits locaux… Pour nous c’est devenu une évidence, Détroit c’est la capitale du DIY. Il fallait qu’on en parle. Mais elle n’est pas seule, d’autres espaces partout dans le monde font partie d’un même mouvement pour un avenir durable et souhaitable entre les mains de ceux qui le bâtissent. C’est intéressant aussi de noter aussi que Détroit est devenue une terre de tous les possibles, les start-ups se sont depuis engouffrées dans la brèche (Twitter a même ouvert un bureau à Motor City en 2012). Ce qui pose aussi un certain nombre de questions en matière de gentrification…

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Quels conseils donnerais-tu à nos lecteurs qui seraient tentés par une escapade a Détroit au cours d’un voyage aux USA ?

En réalité Détroit attire de plus en plus de touristes! Nous-mêmes, on est régulièrement contactées à ce sujet. Avec quelques bons conseils en main (on a pas mal de liens sur notre ancien blog), il y a de quoi passer facilement un week-end voire plus à Détroit. La ville est très bien reliée sur le plan aérien (c’est même un hub pour les vols États-Unis). Pour ce qui est des transports intra muros, c’est une autre paire de manche. Les bus sont rares. Mais la plupart des attractions sont concentrées à Downtown/Corktown/Midtown qu’on peut faire à pied. Sinon c’est possible de louer des vélos (la ville est parfaite pour ça!) chez Fender Bender (collectif qui fait l’objet d’un de nos trois films) ou à Wheelhouse et il y a même un mini réseau de vélos en libre accès qui a été mis en place. Ah et on peut aussi tenter ce réseau de bus privé : Détroit bus. Détroit est situé juste en face du Canada (relié par un pont routier uniquement), Toronto n’est pas si loin (5 heures par la route)!

Pour se loger, le mieux c’est vraiment Air B’nB ou Couch-surfing ou d’autres réseaux d’hospitalité. Il y a aussi une super auberge de jeunesse: Hostel Detroit et quelques autres adresses douillettes. Mieux vaut éviter l’hiver qui est très long (novembre-avril), Détroit est particulièrement morne à cette période là. Conseil général : si les gens dans le Midwest sont chaleureux, les Detroiters sont sur leur réserve quand des étrangers de passage débarquent avec leur matériel dernier cri, surtout si c’est pour faire des photos de « ruines ». Ils se sentent parfois comme des bêtes curieuses d’un zoo post-apocalyptique, et on peut les comprendre. Il suffit d’appliquer cette règle simple de savoir-vivre: respecter l’image des gens et leur temps!

Que faut-il aller voir et faire absolument pendant son séjour a Détroit ?

  • Se promener à Downtown pour ses gratte-ciels et prendre le people’s mover
  • Fureter un bon bouquin à John K King (la 2eme bibliothèque au monde à ne pas rater selon le Business Insider!)
  • Saluer Diego Rivera au DIA (et aller voir un film en son cinéma)
  • Heilderberg project: dans le Eastside, unique au monde
  • Hitville museum (Motown museum)
  • Detroit Historical collection
  • Le Eastern market le grand marché de Détroit (y aller le samedi ou le mardi)
  • Belle Isle, l’île de Détroit (on peut s’y baigner!)
  • Plein de boutiques de design et shopping local dans le quartier des « doers », les trois quartiers centraux qui pulsent.
  • Ruines: Michigan Central Station; Packard Plant et autres (éviter d’y aller seul(e)). Voir surtout l’excellent ouvrage de Romain Meffre et Yves Marchand.

Bars / resto :

  • Coney Island! Les hots dogs de Détroit. Notre préféré.
  • Avalon boulangerie / café / boulangerie: succulents pains et gâteaux, bons cafés. Tout est bio, local et relève de l’économie sociale et solidaire. 422 West Willis Street.
  • Slows Barbecue: la fameux resto d’un ex mannequin, acteur majeur de la revitalisation (et gentrification) du quartier de Corktown, pas loin de Downtown et de la célèbre Michigan Central Station abandonnée depuis 30 ans.
  • Good girls go to Paris Crepes / Le Petit Zinc. 2 crêperies à l’américaine, sympa et bien situées
  • Astro Café juste à côté du Slows. Un des meilleurs cafés de la ville, fréquenté par les hipsters de Détroit.
  • Bronx Bar. Bar sympa à Midtown. 4476 2nd Avenue, Detroit, branché sur les bords
  • Cliff Bells: bar resto à Downtown, déco belle époque.
  • Motor City Brewing Works (Midtown/WSU campus, très bonnes pizzas et bière locales.
  • D’mongo’s (downtown), une valeur sûre!
  • Concerts et sorties: notamment PJ’s à Corktown.

RDV en ligne et dans la vie réelle, notamment à la Recyclerie à Paris pour le lancement du projet le samedi 7 juin autour d’un atelier vélo!

Photos : Détroit je t’aime sur Flickr

Documentaire écrit par Nora Mandray et Hélène Bienvenu / 
Produit par Fabienne Servan Schreiber et David Bigiaoui / Cinétévé
Co-édité avec Terra Eco, Usbek & Rica et Urbania / 
Co-diffusé par Médiapart, Terra Eco, Usbek & Rica, Urbania, Les Inrockuptibles et Radio Nova / 
Avec le soutien du CNC, de la Fabrique de la Cité et Paris Jeunes Aventures
 / Avec la participation du NUMA, Futur en Seine, La Fonderie, La Recyclerie et les Ateliers d’été d’agriculture urbaine.

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