Jérôme Delafosse est journaliste-reporter pour l’émission de Canal+ les “Nouveaux Explorateurs”, réalisateur de films documentaires et écrivain. Nous lui avons posé quelques questions sur son sujet préféré : la mer et les peuples qui vivent avec elle.
“La mer, c’est la survie”
Le Magazine du Voyageur : Tu as grandi à Saint-Malo, la mer est donc omniprésente depuis toujours dans ta vie. Est-ce que la mer porte une signification différente selon les peuples que tu as rencontré ?
Jérôme Delafosse : Pour la plupart des hommes des femmes ou des enfants que j’ai rencontré, la mer c’est la survie. Qu’ils soient pêcheurs à Gaza, plongeurs braconniers des township du Cap ou gamins surfeurs des favelas de Rio, la mer permet à la plupart d’espérer. Certains la chérissent et veulent la protéger quand d’autres ne rêvent que d’une chose, la fuir pour échapper à leur condition. Dans tout les cas, une relation très différente de celle que nous, occidentaux, avons. La plupart d’entre nous considérons l’Océan comme un espace de jeu et de loisirs, ce qui est à la fois une véritable chance mais parfois nous aveugle sur ce qu’il s’y passe réellement .
Amoureux des mondes marins, tu as développé une conscience écologique forte. Qu’est-ce qui t’interpelle particulièrement aujourd’hui dans le traitement réservé aux espaces marins ?
Je suis effectivement choqué par de nombreuses choses aujourd’hui. La première est sans conteste la pêche industrielle. Je ne suis pas anti-pêche, loin de là. La pêche artisanale nourrit des milliards d’êtres humains, elle est dans notre nature et nous en avons besoin. Ce qui est dramatique, c’est que pour les grands industriels, les produits de la mer ne représentent qu’une source de profit et rien d’autre… Ce qu’il se passe en mer, au large, loin des regards, est une honte. C’est le Far West, Il faut réagir et arrêter de croire que les Océans sont une ressource inépuisable que l’on peut piller méthodiquement. Que ce massacre se passe en toute légalité et qui plus est parfois même avec des subventions me révolte. Nous savons aujourd’hui que créer des réserves marines dans 20% des Océans permettrait aux espèces de se régénérer mais cette option semble impossible à atteindre.
Certaines espèces de requins comme les Longimanes, qui régulent les Océans depuis 145 millions ont été supprimées à 99% de certaines zones géographiques en moins de 40 ans. Ce qui est en train de se passer avec les requins est une véritable bombe à retardement écologique. L’impact de la pollution est également colossal. Aujourd’hui il est urgent de réagir, les politiques mettent des années à protéger ne serait ce qu’une espèce, il est donc temps de comprendre que la solution est entre nos mains. Nous avons en tant que citoyens, en tant que consommateurs à la fois une responsabilité et un pouvoir énorme pour changer les choses, c’est nous qui tenons les cordons de la bourse. Nous devons nous interroger, nous mobiliser et apprendre à consommer de manière différente pour faire pression sur les distributeurs et faire changer les choses. Il faut refuser cette fatalité, sinon que laisserons-nous à nos enfants ?
Tes voyages t’ont sans doute permis de rencontrer des populations plus en accord avec la préservation des espaces marins. As-tu une rencontre particulière en tête ?
J’ai rencontré des hommes et des femmes remarquables aux quatre coins du monde. Je garde, entre autres, un souvenir ému de pêcheurs nomades Bugis en Papouasie qui vivent en harmonie avec les requins baleines, une espèce menacée inoffensive et magnifique. Alors que de nombreux bateaux les chassent encore, eux ont compris que les géants attirent énormément de poissons dans leur filets alors ils les protègent.
Un film sur la sauvegarde des requins début 2015
Quelles lectures, quels films (en plus des vôtres 🙂 ), ou sites internet, conseilles-tu pour sensibiliser nos lecteurs à ces questions ?
L’image a, à mon sens, un poids essentiel. Les films que je recommande sont “The End of the Line”, qui montre très bien le problème de la pêche industrielle. D’autres films comme “Black fish” ou “The Cove” nous montrent avec virtuosité quel rapport l’homme entretient avec la nature. Ce sont des histoires tristes mais d’un autre côté, le fait que des hommes les aient racontées me donne espoir. Lire le journal est important. Je conseille le site Bloom de l’association de Claire Nouvian. Une approche très intéressante de la sauvegarde des Océans et de très bons conseils pour s’impliquer individuellement dans la sauvegarde de la planète. De mon côté, je termine un film de 90 minutes sur la sauvegarde des requins qui sera diffusé en prime time sur Canal+ et qui montrera d’une part le véritable visage des requins à travers des plongées à couper le souffle et d’autre part expliquera en quoi nous, consommateurs, participons sans le savoir à la disparition de ces prédateurs mythiques indispensables à la survie des Océans donc à la notre. La diffusion est prévue au début de l’année 2015.
Comment as-tu réussi à faire de ta passion ton métier ? Des rencontres, le travail… ? La concurrence doit être rude pour parvenir à devenir reporter pour la télévision.
Ma passion est née sur la plage à Saint-Malo lors de mon enfance, un lieu magnifique, inspirant, au passé flamboyant. Cette flamme ne m’a jamais quitté et j’ai travaillé pour être fidèle à mes rêves de gosse. Il y a eu des rencontres oui mais j’ai toujours beaucoup donné, énormément travaillé car ce job demande une grande rigueur. Il faut toujours garder l’espoir et l’envie, ne pas calculer, un jour ça fini par payer.
Quel est ton plus beau voyage et le reportage dont tu es le plus fier ?
J’aime beaucoup les films que j’ai fait pour les Nouveaux Explorateurs, notamment une très belle histoire sur la mousson tournée au Bangladesh, l’Afrique du sud, ou le Chili… c’est difficile de choisir car ça dépend surtout des rencontres. Mon nouveau projet sur la sauvegarde des requins, différent de celui des Nouveaux Explorateurs, est sans doute celui que j’aime le plus car il porte des valeurs qui me semblent incontournables aujourd’hui. C’est le film qui me ressemble le plus et la direction que je souhaite donner à mon travail : faire rêver tout en sensibilisant à la protection de l’environnement.
“L’Océan, miroir du cosmos”
Quels sont tes plus beaux souvenirs de plongée ?
Mes plus belles plongées, je les ai faites à 1000 mètres de fond en sous marin lors d’un reportage sur les espèces des abysses et la bioluminescence, ces animaux qui produisent de la lumière et ressemblent presque aux étoiles telles qu’on les voit photographiées par le télescope Hubble. Ce jour là j’ai compris que l’Océan n’est que le miroir du cosmos.
Peux-tu nous parler du projet Kindia 2015, diffusé en ce moment sur Canal+, auquel tu participes ? Qu’est-ce qui t’as plu dans ce projet ?
Ce qui m’a plu dans le projet Kindia 2015, c’est que pour la première fois une chaîne de télévision s’implique directement dans une action humanitaire à long terme. C’est aussi un projet à échelle humaine. Les actions sont simples mais essentielles à la vie : nettoyer les rues des déchets, offrir l’accès à l’eau potable dans des quartiers autrefois privés de sources, protéger la mangrove… L’argent des donateurs va directement, sans détours, dans des projets concrets qui ont pour but de soutenir les actions jusqu’à ce qu’elles puissent s’auto-financer et donc devenir pérennes. J’aime aussi que les acteurs de Kindia 2015 soient les Guinéens eux-mêmes, au delà du job que leur apporte l’opération, ceux que j’ai rencontré tirent une grande fierté de participer à l’amélioration du quotidien de leur proches. Ce projet répond à des valeurs qui sont miennes et je suis très fier d’y participer.